En réalité, personne ne peut estimer l’ampleur de la poussée migratoire en direction de l’Afrique du Nord et de la Méditerranée. Il est par contre établi que les villes du sous-continent africain ne sont pas équipées pour fournir la nourriture, l’eau et les services de santé à un déplacement important de population. Si nul ne peut prévoir la rapidité des évolutions climatiques ni le contexte sécuritaire général, en particulier l’activité des groupes jihadistes dans le Sahel, et encore moins la conjoncture économique mondiale sur une période longue, il devient inacceptable de parler de « risque migratoire ». Lorsque l’on ne sait pas, parce que les interactions sont beaucoup trop complexes pour être connues, lorsqu’aucune technique ni méthode ne permet de prévoir l’importance du phénomène, le terme approprié est celui de responsabilité collective vis-à-vis des populations vulnérables.
Si à l’avenir la poussée migratoire s’avère importante, elle conduira vraisemblablement à des drames humanitaires et à des tensions en méditerranée. Ces tensions ne profiteront ni aux populations africaines ni aux populations européennes. Personne ne sera à l’abri. Le changement écologique aggrave le risque pandémique et les grandes épidémies des prochaines années viendront vraisemblablement aussi d’Afrique, et pas seulement d’Asie (1). Les migrants auront toujours les moyens de se déplacer vers le reste du monde, de plein de manières, à travers mille astuces et mille escales. La solution de fermeture des frontières rendra les déplacements plus coûteux et plus dangereux, elle profitera en définitive aux passeurs et transformera le désert et la Méditerranée en zones de crises importantes.
Ces sujets occupent un peu partout le devant de la scène. Sur le thème des migrants, les médias n’envisagent le plus souvent que deux possibilités : soit accepter les migrants, soit fermer les frontières. Ce que l’on ne dit pas assez, c’est qu’il existe une troisième voie pour à la fois accélérer la transition énergétique de la planète et sédentariser les populations sur leur terre.
Deux visions de l’avenir s’opposent : une vision de fermeture et une autre d’ouverture
L’Europe poursuit une stratégie purement sécuritaire de court-terme et voudrait ériger une muraille en Méditerranée et dans le Sahara pour endiguer les flux migratoires.
L’Agence du corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes (Frontex) est régulièrement renforcée : « elle dispose désormais de 1 200 gardes-frontières et garde-côtes, contre 300 en 2015» (2) Le Parlement européen a approuvé, le 17 avril 2019, l’augmentation de ses effectifs qui vont passer « d’un peu plus de 200 agents aujourd’hui à 10 000 agents permanents en 2027» (3) La reconduite aux frontières devient progressivement la règle. Si le Mali n’a pu être sécurisé, qu’en sera-t-il demain ? À quand la marine de guerre ?
Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), 17 919 personnes ont perdu la vie en Méditerranée entre 2014 et 2019 (4). L’exode ne fait donc que commencer. L’Afrique subsaharienne comptera vraisemblablement un milliard supplémentaire de jeunes de moins de 18 ans d’ici à 2050, dont près de deux cents millions dans la zone sahélo-saharienne située en zone rouge du changement climatique (5).
Si demain, des migrants qui n’ont d’autre choix que de quitter leur terre sont désignés comme source de tous les problèmes, alors même que les solutions techniques existent pour fournir la nourriture et l’eau à l’ensemble de la planète, alors cette violence froide qui ne dit pas son nom relève du Mal.
« Il faut éviter de laisser s’accumuler trop de haine » (6)
Il existe déjà dans les pays musulmans un sentiment d’humiliation et d’irrespect du monde à l’égard d’une communauté fière et ancienne. Ce ressenti occupe les devants de la scène.
En 2018, la proposition faite par l’Union européenne aux pays africains d’étendre sur le continent les plateformes régionales de débarquement pour protéger ses frontières extérieures Sud a provoqué une levée de boucliers de la plupart des pays (7).
Le choix de la fermeture risque de mener pour chaque nation à un dangereux paradoxe : plus la sécurité sera recherchée, plus le niveau d’insécurité s’accroîtra, plus les libertés individuelles seront menacées et plus l’incontrôlable surgira sans crier gare. Les tensions pourront aussi mener à des guerres qui par le jeu des alliances conduiront à d’autres de plus grande envergure (8).
Il y a par conséquent un risque important qu’à force de concentrer leur attention sur les débats étroits de souveraineté et d’identité nationale, chacun des pays néglige l’unité et la sécurité qu’il avait cru défendre et qui ne peut résulter que d’un accord global, fruit d’une coordination étroite et d’une négociation élargie et généreuse entre les nations.
[1] Aucun pays n’est à l’abri du changement climatique, [en ligne]. 24heures du 3 décembre 2020. Disponible sur :
https://www.24heures.ch/aucun-pays-nest-a-labri-du-changement-climatique-522005092011
[2] Comprendre le nouveau pacte sur la migration et l’asile, [en ligne]. Fondation Robert Schuman, questions d’Europe n°577 du 16 novembre 2020. Disponible sur :
[3] Frontex : 10 000 garde-frontières en 2027, [en ligne]. Vie-publique.fr du 25 avril 2019. Disponible sur :
https://www.vie-publique.fr/en-bref/21996-frontex-10-000-garde-frontieres-en-2027
[4] Etat de la migration dans le monde 2020, [en ligne]. OIM ONU migrations 2020. Disponible sur :
[5] Le Monde avec AFP La population de l’Afrique devrait doubler d’ici à 2050. [en ligne]. Le Monde du 20 septembre 2017 à 05h05. Disponible sur :
[6] Stéphane Hessel, indignez-vous- Indigène édition
[7] Richard Werly, Migrants: ces «hotspots» dont l’Afrique ne veut pas, [en ligne]. Le temps du 19 juin 2018 à 22:12. Disponible sur :
https://www.letemps.ch/monde/migrants-hotspots-dont-lafrique-ne-veut
[8] Philippe Lesaffre, « Jacques Attali, « Si nous nous fermons, nous décrocherons très vite » », [en ligne].respectmag.com du 29 décembre 2015. Disponible sur :
https://www.respectmag.com/jacques-attali-si-nous-nous-fermons-nous-decrocherons-tres-vite-3/
Leandro Wise
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